Les Services départementaux d’incendie et de secours (Sdis) sont désormais tenus de relever chaque intervention. En jeu, la détection précoce des maladies.
C’est l’histoire d’un rapport qui avait mis le feu aux poudres.
En septembre 2017, La Provence dévoilait l’analyse, encore confidentielle, de la Caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (CNRACL). Elle pointait une anomalie : alors que les pompiers commencent leur carrière avec une condition physique d’athlètes, leur mortalité par cancer semblait rejoindre, au fil des ans, celle de la population générale. Et pire, la dépasser, la retraite venue.
Cancers bronchopulmonaires, de la cavité buccale-pharynx, du foie et des voies biliaires, du pancréas, se révèlent anormalement fréquents. “C’est un indice en soi très alarmant, décrivait alors le médecin autonome de la Fédération des sapeurs-pompiers.
Comment expliquer que des hommes sportifs, coachés toute leur vie, soient autant ou davantage malades que le commun des travailleurs ?” Comment, sinon par l’exposition à “un cocktail explosif : le stress, la fatigue chronique, les toxiques.
Tout cela, on le sait, fabrique des cancers”. Exposés et mal protégés.
“Un total changement de paradigme” Un an plus tard, La Provence révèle un autre rapport, les conclusions du Ceren de Valabre, à Gardanne sur la cagoule portée par les pompiers lors d’un feu de forêt : elle ne “permet pas de filtrer les composés chimiques” dégagés par la combustion des végétaux ; ceux-ci
pénètrent leurs voies respiratoires, leur peau, leurs yeux…
Pire, ils continuent de les contaminer dans les véhicules ou les casernes souillés. Dans les Sdis, c’est la “sidération”. Et le branlebas de combat au plus haut niveau du ministère de l’Intérieur.
Si les Américains savent depuis longtemps que leurs pompiers ont un risque très accru de développer des cancers, en France, “le sujet n’existait simplement pas”, retrace Sébastien Bouvier, secrétaire fédéral chargé des Sdis à la CFDT. Faire voler en éclats cette omerta est devenu le combat des syndicats.
En 2023, la fédération CGT des services publics a ainsi déposé plainte pour “mise en danger” de la vie des 252 100 pompiers français (volontaires, professionnels ou militaires, comme les marins-pompiers marseillais).
L’année précédente, le Centre international de recherche sur le cancer avait en effet jugé “suffisantes” les preuves permettant de lier la survenue de plusieurs cancers (+ 58% de risque pour le mésothéliome, + 16% pour la vessie) et l’activité de pompier.
L’émission Vert de rage (France 5) a pour sa part estimé que 4% des professionnels pourraient être déjà malades.
C’est donc par un “total changement de paradigme” que démarre 2025, se réjouit Sébastien Bouvier.
Traçabilité obligatoire Créé en mai dernier par la Direction générale de la sécurité civile, l’Observatoire de la santé des agents des services d’incendie et de secours, réclamé de haute lutte par les syndicats, mais aussi des députés, rend obligatoire par les Sdis la traçabilité des expositions professionnelles des pompiers.
“C’est un très grand progrès”, se félicite M. Bouvier, car ce relevé gardera durant 50 ans “l’historique des interventions effectuées” et permettra “la prise en charge médicale la plus adaptée de chaque agent, pendant le service, comme après la cessation de l’activité”, complète la DGSCGC. Il sera ainsi plus aisé
de faire reconnaître un cancer en maladie professionnelle.
Alors que des nouvelles cagoules seront testées au printemps, l’École nationale des sapeurs pompiers, à Aix-en-Provence, va aussi mener avec le centre d’essais et de recherche de l’Entente-Valabre un programme expérimental de détection des toxiques dans l’urine des pompiers durant la saison de feux.
“On avance enfin”, se réjouissent les syndicats.