
Carrières Catégorie B : Le Décret 2025-1098 Sonnera-t-il le Glas de l’Équité ou l’Heure du Mérite ?
Le Décret n° 2025-1098 du 19 novembre 2025 marque une étape significative dans la gestion des carrières des fonctionnaires de Catégorie B de la Fonction Publique Territoriale (FPT). En modifiant les modalités d’avancement de grade, notamment en supprimant le ratio qui régissait l’équilibre entre l’avancement au choix et celui par examen professionnel, ce texte introduit de nouvelles dynamiques. Ses conséquences sont à la fois perçues comme une opportunité de moderniser les parcours professionnels et comme une source potentielle de complexité.
I. L’Assouplissement des Règles et la Responsabilisation des Collectivités
Une Volonté de Flexibilisation de l’Avancement
L’innovation majeure de ce décret réside dans l’abrogation de la règle dite du « quart » (ou des dispositions similaires) qui imposait aux collectivités territoriales de respecter une proportion minimale d’avancement (au moins un quart) par l’une des deux voies (au choix ou examen professionnel) pour le passage au grade supérieur.
- Avantages pour la Gestion Locale : La suppression de ce ratio confère aux autorités territoriales une plus grande autonomie dans l’élaboration de leurs tableaux d’avancement. Elles peuvent désormais adapter leur politique de promotion :
- aux besoins organisationnels spécifiques de leurs services ;
- aux compétences réelles et à la méritocratie au sein de leurs effectifs.
Cette flexibilité permet de mieux accompagner les parcours professionnels et de valoriser l’engagement des agents en fonction des priorités de service.
L’Accent Mis sur le « Choix » et le Mérite
En pratique, cette modification pourrait encourager l’utilisation de la voie de l’avancement au choix, basée sur la valeur professionnelle et les acquis de l’expérience, au détriment de l’examen professionnel qui valide une capacité théorique ou technique.
- Argument Positif : Un avancement plus orienté vers le choix permet de mieux récompenser l’investissement quotidien, l’exercice de responsabilités et le potentiel d’évolution de l’agent. Cela peut renforcer la motivation et l’engagement au travail.
II. Les Incertitudes et les Enjeux d’Équité
Le Risque d’Inégalité de Traitement
Si la souplesse est un atout, elle peut également engendrer des disparités. La disparition d’un ratio imposé pourrait, si elle n’est pas encadrée par des critères locaux précis et objectifs, conduire à une subjectivité accrue dans les décisions de promotion.
- Point de Vigilance : L’équilibre entre les deux voies d’avancement (choix vs examen) était un garde-fou assurant une certaine équité. Sans cette contrainte, l’avancement pourrait devenir plus dépendant des relations hiérarchiques ou des contextes budgétaires locaux, potentiellement au détriment des agents les plus méritants si le dispositif est mal encadré.
L’Enjeu de la Concertation Sociale
Le rôle des Comités Sociaux Territoriaux (CST) et des organisations syndicales devient crucial. Le décret ne modifie pas le principe du ratio Promu/Promouvable (P/P), dont le taux est toujours fixé par l’assemblée délibérante après avis du CST.
- Nouveaux Défis : Les partenaires sociaux devront s’assurer que les nouvelles modalités d’avancement adoptées localement restent lisibles, équitables et ne dégradent pas les perspectives de carrière des agents. L’enjeu est de veiller à ce que la suppression de la règle du quart ne se traduise pas par une diminution globale du nombre de promotions, mais plutôt par une meilleure répartition.
III. Focus Spécifique : Les Sapeurs-Pompiers Professionnels (Catégorie B)
Le Décret n° 2025-1098 s’applique directement aux Lieutenants de sapeurs-pompiers professionnels, qui relèvent des cadres d’emplois de la Catégorie B de la Fonction Publique Territoriale. Pour ce corps, les conséquences de la suppression du ratio entre les deux voies d’avancement prennent une dimension particulière au sein des Services Départementaux d’Incendie et de Secours (SDIS).
1. Des Carrières Hiérarchisées et le Poids du Choix
Dans la filière des sapeurs-pompiers, l’avancement est souvent perçu comme un passage de grade essentiel, directement lié à la prise de responsabilités opérationnelles et au commandement.
- Impact Direct : En supprimant la contrainte d’assurer un minimum de promotions par examen professionnel, le décret donne aux directions des SDIS et aux Conseils d’administration une marge de manœuvre totale dans la répartition des promotions au grade supérieur (Capitaine, par exemple, pour un Lieutenant).
- Enjeu de la Méritocratie Opérationnelle : La voie de l’avancement au choix se trouve renforcée. Théoriquement, cela permet de mieux valoriser les agents dont l’expérience de terrain, la gestion des situations complexes et les qualités de commandement sont reconnues, plutôt que ceux ayant uniquement réussi un examen professionnel. C’est une opportunité pour récompenser l’excellence opérationnelle.
2. Le Sentiment de Manque d’Ambitioin des Organisations Représentatives
Néanmoins, l’accueil de cette réforme par les organisations syndicales des sapeurs-pompiers professionnels est souvent teinté de scepticisme.
- La Critique Syndicale : La suppression d’un ratio est vue par certains comme une mesure technique qui n’apporte pas l’ambition statutaire nécessaire pour revaloriser la filière. Leur position est que les SPP de Catégorie B font face à des enjeux de revalorisation de leur rémunération et de leur carrière qui ne sont pas résolus par une simple modification des modalités d’avancement.
- Le Maintien du Ratio P/P : Le véritable levier de la carrière reste le ratio Promu/Promouvable (P/P), qui définit le nombre total de promotions possibles. Tant que ce ratio n’est pas relevé de manière significative, la simple redistribution des promotions entre la voie du choix et de l’examen ne garantit pas une accélération ou une amélioration globale des carrières. La crainte est que la flexibilité nouvelle ne soit pas utilisée pour augmenter le nombre de promus, mais seulement pour changer la manière dont les mêmes promotions sont attribuées, potentiellement au détriment de la transparence.
En somme, pour les Lieutenants SPP, le Décret n° 2025-1098 est une arme à double tranchant : il offre la possibilité d’une gestion plus fine et plus méritocratique des promotions, mais expose également l’avancement à une dépendance accrue aux décisions locales et aux arbitrages budgétaires des SDIS.
IV. Conclusion : Un Cadre à Construire
Le Décret n° 2025-1098 offre un levier de modernisation de la gestion des ressources humaines dans la FPT. Il confère aux employeurs territoriaux la liberté d’affiner leur politique d’avancement pour qu’elle soit plus pertinente et plus réactive aux réalités de terrain.
Cependant, le succès de cette réforme repose entièrement sur la qualité de l’encadrement local et sur le dialogue social. Les collectivités et les SDIS doivent s’emparer de cette nouvelle autonomie pour définir des critères d’avancement transparents et objectifs, qui valorisent réellement la compétence et l’engagement des fonctionnaires de Catégorie B, sans tomber dans l’arbitraire. Il est essentiel que cette flexibilité nouvelle soit utilisée au service de l’équité et de la dynamique professionnelle des agents.
Le Décret s’applique aux tableaux d’avancement à partir de l’année 2026. C’est donc dès à présent que les instances de dialogue social doivent veiller à ce que les conséquences de ce texte soient, à terme, véritablement positives pour la carrière de tous les agents de Catégorie B, y compris les Sapeurs-Pompiers Professionnels.
