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Paroles de pompiers de l’Yonne : “C’était une autre mentalité. Il fallait être un bonhomme et se taire. Alors on cachait ça autrement. L’alcool était un des travers”

Confrontés au quotidien à des situations sensibles, les sapeurs-pompiers de l’Yonne, professionnels et volontaires, se focalisent prioritairement sur leur mission. Puis ils doivent analyser et “digérer” l’événement. Toutes les souffrances qu’ils accompagnent laissent inévitablement une empreinte dans leur mémoire. Ils témoignent.

es sapeurs-pompiers ne sortent jamais vraiment indemnes d’une intervention. Bien qu’ils soient formés à cela. Les souffrances sont certes moins importantes quand ils ont réussi à sauver une personne. Le sentiment d’accomplissement conditionne souvent la façon dont ils vont “digérer” chaque situation sensible. D’où la nécessité d’un soutien psychologique. Et de la cohésion de groupe au sein d’une caserne. “Quand les gens nous entendent, ils doivent nous prendre pour des fous “, expliquent des pompiers icaunais à propos de leur humour qu’ils estiment “particulier”. Un curieux mélange de cynisme et d’humour noir : “La dérision est notre échappatoire. Elle nous permet de ne pas pleurer pendant trois jours.”

“C’était une autre mentalité. Il fallait être un bonhomme et se taire. Alors on cachait ça autrement. L’alcool était un des travers.”

Il est de ces interventions qui laissent des traces, celles dont on se remémore des années plus tard un souvenir quasi intact : des images renvoyant à la misère sociale ; des odeurs fétides gommées par un baume à base de camphre badigeonné sous les narines. Des pages qu’il semble difficile de pouvoir tourner seul, lorsqu’on plonge dans l’intime de la tragédie.

Quand les langues se délient

Depuis plus d’une dizaine d’années, la parole tend à se libérer au sein des centres de secours. Fut un temps, où “on ne parlait pas de ces choses-là, des moments difficiles. On pouvait se sentir jugé : lui, c’est un faible.”

En vingt ans de service, l’adjudant-chef Eric Clop pourrait citer chaque prénom des enfants qui ont perdu la vie au cours de ces interventions.

“Quand tu sors de l’eau une petite fille qui s’est noyée, tu ne sais plus vraiment si c’est une étrangère que tu tiens ou ta fille que tu vas mettre au lit.” ADJUDANT CHEF ERIC CLOP

Une quinzaine d’années auparavant, les pompiers auxerrois perdaient l’un des leurs dans un accident de la route. Gilbert venait de finir le travail. Sur le chemin du retour, en voulant porter secours, il est percuté par un véhicule, puis décède à la suite de ses blessures.

Il y a une quinzaine d’années, les pompiers d’Auxerre ont perdu un collègue.

“Avant de partir, on ne savait pas que c’était lui, mais on avait quand même un doute. On a entendu que c’était grave”, se souvient son ancien collègue, Eric. Quand on arrive sur une intervention, on sait toujours ce qu’on a à faire. Mais parfois, tu peux perdre tes moyens, ne plus arriver à faire les bons gestes.”

Lorsqu’il a débuté sa carrière de jeune pompier, le sergent Arnaud Roy et d’autres s’avouaient moins sensibles aux tragédies qu’ils rencontraient.

“Quand tu as 18 ans, tu arrives plus facilement à faire glisser, à ne pas t’imprégner des événements. En revanche, en prenant de la maturité, en construisant nos familles, on s’identifie davantage aux victimes, à ceux qui restent.”
SERGENT ARNAUD ROY

Un visage étrangement familier, une victime du même âge que sa femme, un porte-clé identique au nôtre sur la voiture accidentée… Autant de facteurs “miroirs” qui peuvent conduire à une projection de l’intervention à sa vie personnelle.

Arnaud Roy l’a vécu. Au cours d’une intervention, une femme enceinte et son bébé perdent la vie. Ce jour-là, la compagne du sergent attendait, elle aussi, un enfant, à quatre mois de grossesse. Lui, qui avait pourtant l’habitude de raconter ses journées à sa conjointe en rentrant du boulot, a préféré passer sous silence cet événement.

Préserver ses proches

À la question : “Les pompiers doivent-ils déballer leur journée à leurs proches ou, au contraire, est-il préférable de les préserver ?” Les avis divergent.

“J’ai besoin de partager ce que je fais au travail, confie le lieutenant Luc Masson. C’est important d’avoir quelqu’un à l’écoute. Quand on est en intervention, nous sommes dans le feu de l’action, on arrive à déconnecter. C’est après, lorsqu’on rentre à la maison qu’on sent le contrecoup. Il faut vider son sac, sans en dire trop.” Un choix plus épineux pour d’autres…

“Ils ne peuvent pas toujours comprendre ce qu’on vit. C’est plus facile de discuter entre nous, on s’observe dans la bienveillance et on s’assure que tout le monde aille bien. Nous sommes notre meilleure thérapie” ADJUDANTE CHEF VANESSA LOUIS

 

Les risques. Les pompiers peuvent être victimes de stress post-traumatique. Ses symptômes sont le fait de revivre constamment un aspect de l’événement de façon incontrôlable, qu’il s’agisse d’une scène ou d’un détail comme un son, une image, une odeur, une impression ; une conduite d’évitement ; des troubles de la mémoire ; un état d’hypervigilance ; des troubles du sommeil ; une grande détresse et des idées noires. Par définition, ses symptômes perdurent au-delà d’un mois.

Via
lyonne.fr
Source
Tiphaine Sirieixphotos Marion Boisjot
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